David Cormand : «Nous ne serons plus les supplétifs de quiconque» (article paru dans Libération le 28/02/2019)
Le patron d’Europe Ecologie-les Verts tourne la page de la social-démocratie, qui n’a pas «su répondre à la question des limites de la croissance».
Secrétaire national d’Europe Ecologie-les Verts, David Cormand n’est pas connu du grand public. Lâcher une phrase assassine ou un bon mot pour attirer les spots n’est pas le genre de la maison. A l’approche du scrutin européen, il se met pourtant à rêver. Couve du regard les lycéens qui sèchent les cours le vendredi pour protester contre le dérèglement climatique et rappelant à l’envi que la pétition en ligne «L’affaire du siècle», qui vise à attaquer l’Etat français en justice pour non-respect de ses engagements écologiques, a réuni plus de 2 millions de signatures. De quoi filer la pêche aux écolos, qui voient encore plus grand : s’installer au centre du jeu et prendre le pouvoir. Carrément. Sans se démonter, David Cormand aligne ses arguments.
L’écologie peut-elle remplacer la gauche ?
L’écologie doit faire plus que cela ! Nous proposons un nouvel imaginaire politique. L’enkystement dans les vieux schémas est mortel. Regardez le dérèglement climatique, la pollution des mers, la disparition des insectes… Le productivisme extractiviste, obsédé par les énergies fossiles, est en train de tuer la planète. Le pari de la gauche pour combattre le capitalisme, c’était d’organiser un rapport de forces avec les détenteurs des outils de production. Le mouvement ouvrier est né de cette volonté. Mais il y avait un immense impensé : le rapport à la nature. Nous sommes rattrapés par cette question indépassable. Pour faire face aux défis de l’époque, il faut une force politique qui repense la production, le rapport à la consommation et conjugue préservation de la planète, émancipation des individus, solidarité entre les peuples… Il faut cesser d’opposer questions sociales et environnementales : c’est le même sujet. A l’origine de la critique du capitalisme, il y avait une gauche non marxiste qui défendait la nature, l’égalité et qui était féministe. L’écologie politique est en partie issue de cette tradition.
Le rocardisme était justement un socialisme non marxiste prenant en compte les novations et les revendications écologiques…
Oui ! Et ce n’est pas par hasard si c’est chez les Verts que l’affluent rocardien, via des militants issus du PSU, s’est le mieux épanoui en faisant de la question écologique la question cardinale. Mais leur parcours nous offre hélas une illustration de l’échec politique : cette pensée originale, faute d’avoir rompu totalement avec la gangue productiviste, est restée lettre morte. Les intuitions de la deuxième gauche étaient justes. Mais trop de pusillanimité devant le capitalisme les ont rendues inopérantes. Et puis les héritiers de Rocard n’ont pas été à sa hauteur. Leur vision sociale-démocrate est restée fondée sur le dogme de la croissance.
Les rocardiens vous répondraient qu’ils ont fait beaucoup, ou plutôt tant qu’ils ont pu, sur les enjeux environnementaux…
Certes. Vous savez, les écologistes ont aussi essayé de faire beaucoup de choses avec les socialistes : la gauche plurielle avec Lionel Jospin, le gouvernement sous François Hollande, le soutien à Benoît Hamon à la dernière présidentielle. Nous en avons tiré des enseignements : il faut tourner la page. Pendant quarante ans, le leadership idéologique et politique a été porté par la social-démocratie. Elle, qui n’est pas toute la gauche, arrive en fin de cycle faute d’avoir su répondre à la question des limites de la croissance et parce qu’à force de concessions au libéralisme, elle a fini par trahir sa promesse de justice sociale. La nouvelle force propulsive, pour lutter contre le libéralisme et conjurer le repli nationaliste, c’est l’écologie politique.
Ça veut dire qu’il n’y aura pas d’accord lors des européennes ?
Effectivement. Car l’élection européenne est un scrutin proportionnel à un tour où on exprime sa préférence plus que la défiance.
Sur le fond, il y a des différences entre vous et Benoît Hamon ?
Certainement beaucoup moins qu’avec d’autres. Mais notre projet est plus ambitieux et nos convictions écologistes ne sont pas de circonstance. Benoît Hamon a remporté la primaire socialiste sur un programme plus écologiste que ses adversaires et nous lui avons apporté notre soutien. Depuis, il semble indécis et oscille entre tentation du retour à la case sociale-démocrate et une vraie conversion.
Vous préférez donc une division claire à une alliance trouble ?
Oui. Nous ne sommes pas solubles dans la gauche. L’écologie, c’est le même bulletin et le même programme dans toute l’Europe. Notre contribution au débat politique est celle de la clarté. Parce que je pense profondément que c’est l’ambiguïté qui divise et la clarté qui rassemble.
Vous ne renoncez pas à fédérer ?
Au contraire. Nous voulons rassembler très largement, pour construire une dynamique majoritaire. Le sujet aujourd’hui, c’est de ne plus être seulement un parti qui prescrit ou qui sensibilise. Notre objectif est de créer un mouvement qui a vocation à exercer le pouvoir.
Mais votre parti est-il prêt à prendre le pouvoir ?
Il le faut. Cela fait quarante ans que la gauche nous trouve suspects sur les questions sociales et que la droite nous trouve incompétents sur les questions économiques. Ils ont échoué et nous conduisent tranquillement à la catastrophe. Nous avons trop longtemps intériorisé une sorte d’infériorité face à cette droite et cette gauche qui, le moins qu’on puisse dire, n’ont pas fait des miracles économiques et sociaux. Désormais, nous ne serons plus les supplétifs de quiconque.
Comment comptez-vous vous adresser à l’électorat populaire ?
Les classes populaires sont les premières victimes de l’inaction en matière d’écologie. Elles comprennent de plus en plus que l’écologie est un enjeu pour elles. Nous ne devons pas seulement leur proposer un autre modèle, mais le construire avec elles. Le mouvement des gilets jaunes est né non pas d’un refus de l’écologie mais du refus de l’injustice fiscale.
En attendant, il y a des manifestations pour le climat partout, mais EE-LV ne dépasse pas quelques milliers d’adhérents. Comment expliquer ce paradoxe ?
Hier, nous n’étions pas aussi ouverts que nous le devions. Nous devons maintenant nous dépasser et sortir de nos habitudes pour accepter d’être bousculés par les millions de personnes qui veulent que l’écologie devienne plus forte. La génération climat doit savoir que désormais notre mouvement lui appartient. C’est à eux d’en reprendre les rênes. Il y a donc un gros enjeu de formation et de transmission de notre histoire. C’est en cours. Après les européennes, notre parti doit évoluer. Nous allons construire un mouvement à la hauteur des défis à relever.
Des défis comme l’immigration, la politique étrangère, la défense : autant de thèmes sur lesquels on connaît peu vos positions…
Nous avons des idées et des propositions sur tous ces sujets depuis longtemps. Sur l’immigration, il est de bon ton de taxer les écologistes d’angélisme. Mais je pense que ce qui est naïf, c’est de penser que transformer l’Europe en citadelle est une réponse sérieuse. Sur la sécurité, c’est pareil : la brutalisation de la société à laquelle on assiste actuellement est une impasse.
Pour vous, la gauche et la droite n’existent plus ?
Regardons au-delà des mots. L’offre politique de la droite et de la gauche de gouvernement est arrivée à un obstacle infranchissable pour elles : l’écologie. Leurs promesses sont intenables parce que basées sur des modèles obsolètes. En France, elles s’effacent pour laisser la place, dans ce «clair-obscur», comme dirait Gramsci, à ce que j’appelle le triangle des Bermudes. Aux trois angles, il y a le national-populisme d’extrême droite, le populisme de gauche des insoumis et une forme de populisme libéral incarné par Emmanuel Macron.
C’est quand même étrange de le classer parmi les populistes et de lui reprocher de ne représenter que les élites !
Il y a tellement de choses qui me rappellent le populisme chez lui : son incarnation jupitérienne, sa verticalité, son rejet des corps intermédiaires. Son peuple à lui, c’est le peuple des gagnants de la mondialisation.
Vous dites souvent que François Hollande était «a-écologique», mais Emmanuel Macron, il est quoi ?
La démission de Nicolas Hulot a prouvé que dans la carte mentale du Président, il n’y a pas de place pour l’écologie. Il est prisonnier d’une vision périmée où l’économie est plus importante que l’écologie. Du coup, il ne fait que de la communication. Nous, nous voulons des actes forts qui répondent à l’urgence.